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Le renforcement du Reporting Pays par Pays dans le cadre de la loi Sapin II... Ou quand l’Assemblée Nationale veut laver plus blanc que blanc




Les députés, dans le cadre des travaux relatifs au projet de loi « Sapin II », ont introduit une nouvelle forme de reporting très contraignante et ont, par ailleurs, significativement abaissé les seuils de déclenchement d'obligations déclaratives en matière de prix de transfert.

 

Le projet de loi « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » dit « loi Sapin II » vient d'être adopté en première lecture à l'Assemblée Nationale.

Trois dispositions concernant les informations que doivent communiquer les groupes et plus généralement la réglementation en matière de Prix de transfert ont été intégrées par les députés.

Ce projet de loi s'inscrit à la fois dans un mouvement français et international de lutte contre l'évasion fiscale et de lutte contre l'optimisation fiscale dite « agressive ».

Ce mouvement s'est concrétisé par la publication en octobre 2015 du plan « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) au travers duquel l'OCDE a remis 15 recommandations visant à lutter contre l'érosion de la base fiscale et invitant les Etats à implémenter celles-ci dans leur législation interne.

L'action 13 du plan « BEPS » propose de mettre en place de façon coordonnée un Reporting Pays-par-Pays[1] au travers duquel les grands groupes devraient remettre aux autorités fiscales des Etats dans lesquels ils sont implantés une liste déterminée d'informations financières et économiques de nature à leur permettre de contrôler si ces groupes n'ont pas mis en place des mécanismes destinés à faire échapper de la base taxable à l'impôt.

En outre, une proposition de directive communautaire[2] prévoit d'aller plus loin en obligeant les grandes entreprises à mettre ces informations à la disposition du grand public, en sus de la communication aux autorités fiscales.

C'est dans ce contexte que les députés ont adopté trois dispositions marquantes dans le cadre des travaux parlementaires relatifs à la loi Sapin II.

1. Introduction d'un « Reporting public »


 

L'article 45 bis du projet de loi Sapin II prévoit d'introduire un dispositif très ressemblant à celui prévu dans le cadre de la proposition de directive précitée. Les députés proposent dès lors d'implémenter ce texte en droit français alors même que le dispositif communautaire n'est pas encore adopté…

Un nouvel article L. 225-102-3 serait ajouté au Code de commerce et prévoirait que :

  • les sociétés ou groupe de sociétés dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 750M€, et

  • les filiales ne constituant pas une petite entreprise au sens du Code de commerce[3] et contrôlées directement ou indirectement par une société remplissant ce critère de chiffre d'affaires, et

  • les succursales détenues directement ou indirectement par une société remplissant ce même critère


devront rendre public certaines informations, séparément pour chacun des Etats membres de l'UE où la groupe est implanté ou, lorsqu'un nombre minimal d'entreprises est atteint, pour les autres Etats,[4] . Cette diffusion s'effectuera dans le cadre de la publication de leur rapport public annuel et portera sur les informations suivantes :

  • Une brève description de la nature des activités ;

  • Le nombre de salariés ;

  • Le montant du chiffre d'affaires net ;

  • Le montant du résultat avant impôt sur les bénéfices ;

  • Le montant de l'impôt sur les bénéfices dû pour l'exercice en cours, à l'exclusion des impôts différés et des provisions constituées au titre de charges d'impôt incertaines ;

  • Le montant de l'impôt sur les bénéfices acquitté accompagné d'une explication sur les discordances éventuelles avec le montant de l'impôt dû, le cas échéant, en tenant compte des montants correspondants concernant les exercices financiers précédents ;

  • Le montant des bénéfices non distribués.


Ce dispositif devrait entrer en vigueur au lendemain de l'adoption par le Parlement Européen de la proposition de directive précitée et au plus tard le 1er juillet 2017.

Nous noterons donc que ce texte prévoit d'entrer en vigueur à cette date, même si la directive n'est finalement pas adoptée.

Enfin, le texte adopté, prévoit d'abaisser le seuil de 750M€ de chiffre d'affaires à 500M€ deux années après son entrée en vigueur, puis à 250M€ à nouveau deux années après.

2. Un abaissement à 50M€ des seuils de déclenchement du « reporting fiscal » et de la transmission de la « documentation allégée en matière de prix de transfert »


a. Un abaissement du seuil de déclenchement du « reporting fiscal » à 50M€


Dans le cadre de la loi de finances pour 2016, la France avait immédiatement intégré au Code Général des Impôts un nouvel article 223 quinquies C dont la rédaction est fidèle en tout point à l'action 13 du plan BEPS d'octobre 2015.

Cet article prévoit que :

  • les sociétés ou groupes de sociétés réalisant un chiffre d'affaires consolidé supérieur à 750M€ et détenant au moins une entité hors de France,

  • ou détenues par une société étrangère dépassant ce seuil mais ne remplissant pas elle-même cette obligation,

  • ou désignées à cet effet par le groupe,


devront remettre chaque année à l'administration fiscale française une déclaration comportant la répartition pays par pays des bénéfices du groupe et des agrégats économiques, comptables et fiscaux, ainsi que des informations sur la localisation et l'activité des entités le constituant,

L'article 45 ter du projet de loi Sapin II propose d'abaisser le seuil de chiffre d'affaires consolidé de 750M€ à 50M€ au titre des exercices clos à compter du 1er juillet 2020.

b. Un abaissement du seuil de soumission aux obligations « allégées » de documentation en matière de prix de transfert à 50M€


L'article 223 quinquies B du CGI prévoit que les sociétés soumises à l'obligation de documentation en matière de prix de transfert à savoir, les sociétés :

  • dont le chiffre d'affaires hors taxes ou l'actif brut est supérieur à 400M€, ou

  • détenant directement ou indirectement plus de la moitié du capital ou des droits de vote d'une société satisfaisant à l'un de ces critères, ou

  • dont plus de la moitié du capital ou des droits de vote est détenue directement ou indirectement par une société satisfaisant à l'une des conditions ci-dessus.


doivent remettre chaque année à l'administration fiscale des informations générales sur le groupe de sociétés (notamment la description générale de l'activité, la liste des principaux actifs incorporels), et des informations spécifiques concernant l'entreprise (la description de l'activité déployée, un état récapitulatif des opérations avec les entreprises associées lorsque le montant agrégé excède 100K€, une présentation de la ou les méthodes de détermination des prix de transfert).

L'article 45 quater A du projet de loi propose d'abaisser le seuil précité de 400M€ à 50M€ au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2016.

3. Quelques observations…


Concernant le « reporting public » :


Même si nous pouvons comprendre la volonté de faire plier les géants de la net-économie, désormais aussi puissants économiquement que les Etats eux-mêmes, nous comprenons également les arguments soulevés par les organisations patronales qui considèrent ce dispositif comme anticoncurrentiel dans la mesure où les sociétés françaises devront mettre à la disposition du public, et donc de leurs concurrents directs, des informations stratégiques et de nature à permettre, par exemple, à leurs concurrents chinois, russes ou américains, donc non soumis à ces obligations, de les attaquer sur leur propres marchés de façon déloyale.

Nous nous interrogeons toutefois sur le point de savoir si les députés ne se tromperaient pas de cible, notamment via l'abaissement programmé du seuil de déclenchement à 250M€ de chiffres d'affaires consolidé. En effet, Sont-ce vraiment les groupes de taille intermédiaire qui utilisent des schémas d'optimisation de nature à permettre une érosion massive de leur base taxable ?

Enfin, seules les administrations fiscales, et non le grand public, sont juridiquement en mesure de sanctionner de tels comportements…

Concernant l'abaissement du seuil de déclenchement des obligations déclaratives allégées en matière de prix de transfert :


L'article 223 quinquies B du CGI, qui définit cette obligation, renvoie aujourd'hui aux dispositions de l'article L 13 AA du LPF s'agissant du seuil de déclenchement ; ce dernier article déterminant quant à lui les obligations en matière de documentation sur les prix de transfert en cas de procédure de vérification de comptabilité.

L'abaissement de ce seuil de 400M€ à 50M€ créé ainsi une déconnexion malheureuse entre ces dispositifs dont l'actuel alignement relève d'une certaine cohérence.

En effet, l'article 223 quinquies B du CGI a pour objectif de permettre à l'administration fiscale de s'assurer d'une apparente cohérence de la politique des prix de transfert des groupes concernés sans que celle-ci soit obligée de lancer une procédure de vérification de comptabilité. Ainsi, lorsque la documentation allégée remise spontanément à l'administration fiscale lui permettra de détecter des failles ou incohérences, celle-ci pourra engager une procédure de contrôle qui aura toute les chances de s'avérer bien plus opportune qu'en son absence.

Aussi, pour les groupes dont le chiffre d'affaires est situé en 400M€ et 50M€, la déconnexion de ces seuils supprime toute cohérence entre des ces deux dispositifs.

Les obligations déclaratives en matière de prix de transfert mise en place à l'égard des PME ont-elles vraiment un intérêt pratique ?


L'abaissement des seuils précités obligera les groupes de PME à se pencher sur des problématiques au demeurant très subjectives [5], pour des enjeux s'avérant au final relativement faibles. De plus, ces groupes ne disposent pas nécessairement des ressources internes pour faire face à de telles obligations.

Enfin, l'empilement des dispositifs mais à objectif commun va de nouveau augmenter le poids des obligations déclaratives des entreprises, pour lesquelles les PME sont nécessairement les moins bien préparées…

Nous examinerons donc avec attention la version définitive de ces différents textes afin d'en évaluer leur véritable impact…

 

Jeannick Moisy


Avocat Associé


Lintax Société d'Avocats


 

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[1] En anglais Country by Country Reporting (CBCR)

[2] Proposition de la Commission (2016/017) modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d'informations relatives à l'impôt sur les bénéfices.

[3] Art L. 123-16 C com : Entreprises remplissant au moins deux des trois critères suivants : dont le total des actifs est inférieur à 4M€, dont le montant net du CAHT est inférieur à 8M€, dont le nombre de salariés est inférieur à 50.

[4] Ce nombre minimal sera fixé ultérieurement par décret

[5] L'appréciation d'un taux de marge et ses modalités de fixation revêtent toujours une certaine part de subjectivité

 

 

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