L’option pour l’imposition à l’IR à la constitution d’une SAS peut revêtir des avantages fiscaux mais surtout en termes de charges sociales non négligeables. Il convient toutefois d’être très prudent dans l’utilisation de ces avantages au risque de supporter de lourdes conséquences en cas d’abus.
En application des dispositions prévues à l’article 239 bis AB du Code Général des Impôts (ci-après « CGI »), les sociétés par actions et les sociétés à responsabilité limitée non-cotées peuvent opter pour le régime fiscal des sociétés de personnes (c’est-à-dire pour la translucidité fiscale), sous respect de certaines conditions d’activité, d’effectif, de chiffres d’affaires et d’ancienneté.
Cette option est toutefois limitée à 5 exercices, sans renouvellement possible.
Crée par la loi LME du 4 août 2008, cet article avait été instauré pour « permettre aux petites sociétés de capitaux (SARL, SAS ou SA), dans leur phase d’amorçage, d’opter pour le régime fiscal des sociétés de personnes ce qui permettra aux associés « exploitants » de ces jeunes sociétés de capitaux d’imputer immédiatement les déficits, fréquents dans les premières années de vie de l’entreprise, sur d’autres revenus soumis à l’impôt sur le revenu, sans attendre l’imputation sur des bénéfices ultérieurs qui n’existeront peut-être jamais si l’entreprise échoue, tout en bénéficiant de l’avantage de la responsabilité limitée »[1].
En d’autres termes, ce dispositif permet aux créateurs d’entreprises, investissant des sommes importantes dans leurs projets, de bénéficier à la fois de la protection juridique qu’offre la société de capitaux séparant actif et passif professionnels du patrimoine personnel de leur associés tout en bénéficiant temporairement de la translucidité fiscale permettant d’imputer les déficits professionnels sur leur revenu global soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu (ci-après « IR »).
Cet avantage est ouvert à tous les dirigeants de société de capitaux (SA, Sarl, SAS, Selarl, Selas…). Cependant, pour des raisons de commodités, le présent article se concentrera sur la situation du seul président d’une SAS.
Ce dispositif d’autres conséquences que les seules conséquences fiscales. D’un point de vue juridique et social, la SAS ayant opté à l’IR conserve la forme d’une société de capitaux alors que d’un point de vue fiscal, celle-ci est traitée comme une société translucide au regard de ses associés.
Toutefois, du fait de cette dichotomie, les conséquences en termes de rémunération du dirigeant ne sont pas négligeables.
1. Un impact certain sur la rémunération du dirigeant
1.1 Un impact fiscal négligeable…
La rémunération du président de SAS entre dans la catégorie des traitements et salaires. Elle est soumise au barème progressif de l’IR au même titre qu’un salarié, avec application de la déduction forfaitaire de 10% au titre des frais professionnels[2].
En cas d’option, le bénéfice de la société sera déterminé dans les conditions prévues pour l’exploitant individuel et entraînera l’imposition de son président selon sa quote part de résultats à l’impôt sur le revenu dans la catégorie Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC), Bénéfices Non Commerciaux (BNC) ou Bénéfices Agricoles (BA) en fonction de l’activité de la SAS.
Le dirigeant perdra la possibilité de bénéficier de l’abattement forfaitaire de 10% pour frais professionnels mais conserva toutefois la possibilité de déduire ses frais professionnels au niveau du résultat de la société.
Aussi, hormis la possibilité, certes non négligeable, d’imputer les déficits sur le revenu global, la rémunération du président d’une SAS ayant opté à l’IR est soumise au même régime d’imposition selon le barème progressif et n’emporte donc aucune différence notoire.
1.2 …Mais un impact social important
La situation est toutefois bien différente en termes de charges sociales.
Nous l’avons souligné plus haut, l’option prévue à l’article 239 bis AB du CGI n’emporte de conséquences que sur le régime fiscal applicable à la société. Ni le code de commerce, ni le code de sécurité sociale ne prévoient de dispositions équivalentes.
La SAS à l’IR reste juridiquement une société de capitaux avec tous ses attributs, son président reste soumis aux mêmes dispositions ; le code de sécurité sociale ne prévoyant pas d’exception.
Les rémunérations « assimilées salarié » restent soumises aux charges sociales patronales et salariales[3] et si le Président décide de s’allouer une quote-part des bénéfices constatés à la clôture de l’exercice ; ceux-ci conservent la qualification de dividendes et ne sont donc plus soumis à charges sociales mais aux prélèvements sociaux.
Aussi, si le président de la SAS à l’IR décide de ne se verser que des « dividendes »[4], sa rémunération ne sera soumise qu’aux seuls prélèvements sociaux au taux de 9,7%[5] (ce que nous confirme expressément la doctrine fiscale[6]) au lieu des charges sociales applicables sur salaires d’un taux d’environ 60 %[7].
En conclusion, alors que le taux d’impôt applicable aux rémunérations du Président serait identique, les charges sociales pourront être grandement minorées.
2. Une option à manipuler avec précautions
La tentation est grande pour les dirigeants de PME de vouloir bénéficier de cette possibilité de minorer fortement les charges sociales sur leur rémunération.
D’aucuns gérants majoritaires de Sarl auront franchi le Rubicon en créant une SASU dont ils seraient le président, cesseraient de se rémunérer via leur Sarl au profit d’une rémunération via leur fonction de président d’une SASU à l’IR dont le chiffre d’affaires consisterait en la facturation de prestations à la Sarl au titre des fonctions précédemment exercées dans celle-ci.
Dans ce cas, le dirigeant qui avait précédemment placé sa stratégie de rémunération dans un statut « Travailleur Non Salarié »[8] où ses rémunérations étaient soumises à des cotisations sociales à hauteur d’environ 43% pourra baisser ce taux sur tout ou partie de sa rémunération à 9,7% de prélèvements sociaux.
Toutefois, ce « montage » n’est pas sans risque et ne peut être envisagé que dans le but de baisser le taux de charges tel que décrit ci-dessus.
En effet, même si les risques fiscaux sont, en principe, assez faibles, le risque social voir pénal est élevé, notamment lorsque les prestations facturées ne sont pas réelles.
2.1 Peu de risques fiscaux…
2.1.1 L’abus de droit fiscal
La notion de montage dans l’unique but de diminuer le coût fiscal d’une activité professionnelle appelle immédiatement à se pencher sur le risque de qualification d’abus de droit.
L’article L64 du Livre des Procédures Fiscales (ci-après « LPF ») dispose que :
« Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
L’abus de droit se caractérise :
- Soit par la fictivité,
- Soit par la fraude à la loi.
Nous avons démontré plus haut que les rémunérations d’un gérant majoritaire de Sarl et celles d’un président de SAS à l’IR sont fiscalement traitées à l’identique.
Par principe, la qualification d’abus de droit fiscal ne nous semble dès lors guère probable ; la jurisprudence du Conseil d’Etat considérant que l’administration fiscal ne peut invoquer l’existence d’un abus de droit que si l’acte litigieux a permis la réalisation d’une économie fiscale[9].
Toutefois, le risque ne pourra pas être totalement écarté si l’administration fiscale est, en revanche, en mesure de démontrer que les prestations facturées par la SAS à l’IR sont fictives.
2.1.2 Un acte anormal de gestion ?
En cas de fictivité des prestations facturées par la SAS à l’IR, l’administration fiscale dispose également de la possibilité de réintégrer à son résultat fiscal les prestations versées par la Sarl en requalifiant celles-ci d’acte anormal de gestion.
Prévu à l’article 38 du CGI, l’acte anormal de gestion est défini comme une perte indue de valeur, non justifiée par l’intérêt de l’exploitation, ayant pour effet une diminution du résultat imposable.
Une telle qualification entraîne :
- La réintégration au résultat fiscal de la Sarl des charges indûment payées à la SAS,
- Une éventuelle majoration pour manquement délibéré à hauteur de 40% du montant d’impôt supplémentaire,
- Le calcul d’un intérêt de retard de 0,20% par mois,
- La contestation de la déductibilité par la Sarl de la TVA déduite sur ces facturations.
Il est de jurisprudence constante que lorsqu’une société à déduit des charges dont elle n’apporte pas la preuve de la réalité des prestations correspondantes, celle-ci est présumée avoir supporté cette charge sans contrepartie directe et il lui appartient dès lors de démontrer que les paiements ne constituent pas un acte anormal de gestion ; la charge de la preuve étant renversée dans ce cas.
Si la réalité des prestations est remise en cause, la Sarl ayant supporté des charges sans aucune contrepartie, le risque de qualification d’acte anormal de gestion de ces charges semble élevé.
Il est par ailleurs de jurisprudence constante que constitue un acte anormal de gestion, le fait pour une Sarl de supporter les charges liées à la facturation de prestations de direction par une autre société dès lors que ces prestations sont normalement exercées par le gérant lui-même[10].
En résumé, dans le cas de facturation de prestations techniques réelles, le risque fiscal nous semble faible voire inexistant.
2.2 …Mais des risques sociaux…
L’abus de droit social s’inspire de la notion de l’abus de droit fiscal prévu à l’article L 64 du LPF.
En effet, selon l’article L.243-7-2 alinéa 1 du code de la Sécurité Sociale, les actes constitutifs d’un abus de droit social se caractérisent par :
- Leur caractère fictir, ou
- La recherche de l’application littérale de textes à l’encontre de leurs objectifs et permettant d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales.
Dans notre exemple, la rémunération du gérant majoritaire de la SARL serait soumise à des contributions sociales à un taux d’environ 43%. Le versement de la rémunération du dirigeant par le biais de la SAS permettra de réduire son taux de cotisations à 9,7%, sans que le montage ne puisse être justifié par un aucun autre objectif que celui d’obtenir cette baisse. L’abus de droit social est caractérisé.
2.3 …Voire un risque pénal
L’abus de biens sociaux défini aux articles L 241-3 (pour les gérants de Sarl) et L 242-6 (pour les dirigeants de SA et SAS) du code de commerce consiste pour les dirigeants à « faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».
En cas de prestations fictives, le dirigeant de la SAS ne peut évidemment déclarer ignorer cette fictivité. Il ne peut non plus ignorer qu’il s’enrichit au détriment de la Sarl dès lors qu’il fait supporter à celle-ci et à son profit des charges pour lesquelles il n’existe pas de contrepartie.
En tant que gérant de la Sarl sur laquelle il s’enrichit personnellement, il commet donc un abus de biens sociaux pénalement sanctionné.
En résumé, il n’est pas interdit à une SAS nouvellement créée d’opter pour l’imposition à l’IR. Il n’est pas non plus interdit à un gérant de Sarl de constituer une SAS à l’IR et de lui facturer certaines prestations.
Il convient néanmoins d’être prudent lors de la constitution d’un tel groupe et la consultation de spécialistes s’avère indispensable afin d’éviter les multiples écueils décrits ci-dessus.
Le Cabinet Lintax Société d’Avocats est à votre disposition pour vous accompagner dans la constitution de ce type de schéma.
[1] Avis de la Commission des Finance de l’Assemblée Nationale n°905 du 20 mai 2008
[2] Art 83 du CGI
[3] Article L 311-3 du Code de la Sécurité Sociale parag 23
[4] Ou plus exactement sa quote part des bénéfices constatés à la clôture de l’exercice
[5] Article L 136-6 f) du Code de la Sécurité Sociale
[6] BOI-IS-CHAMP-20-20-20-20-25/03/2014 n°250
[7] Ou environ 40% si la rémunération est inférieure à 1,5 plafond SS
[8] Article L 611-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale
[9] CE 5 mars 2007 n° 284457, 8e et 3e s.-s., Selarl Pharmacie des Chalonges
[10] CAA Nancy, 9 octobre 2003, n°98NC02182 ; SA Gamlor