Apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur : Les risques du versement d’une soulte de 10%

L’administration fiscale vient de publier ses commentaires relatifs aux nouvelles dispositions de l’article 150-0 B ter du CGI.

Cette doctrine administrative, publiée le 2 juillet 2015, a apporté une lecture de la possibilité de verser à l’apporteur, en cas d’échange de titres, une soulte inférieure à 10% en report d’imposition qui aura retenu toute notre attention.

Cette doctrine a fait l’objet d’une consultation publique et pourra éventuellement être modifiée à l’occasion de la mise en ligne de sa version définitive. Le texte actuel est néanmoins opposable même s’il pouvait être révisé.

1. Rappel du dispositif de report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI :

L’article 150-0 B ter du CGI vise à encadre les opérations « d’apport-cession » de titres réalisées par les personnes physiques.

Ces opérations consistaient, avant l’entrée en vigueur de cet article, à apporter à une société soumise à l’impôt sur les sociétés des titres dont la plus-value d’échange bénéficie d’un sursis d’imposition automatique (en application de l’article 150-0 B du CGI), apport suivi à bref délai de la cession des titres par la société à un tiers, généralement pour leur valeur d’apport, et donc sans générer de plus-value taxable.

Le contribuable qui contrôlait la société bénéficiaire de l’apport disposait ainsi des liquidités obtenues lors de la cession sans être imposé sur la plus-value d’échange. Il n’était imposé que lors de la cession ultérieure des titres reçus lors de l’échange, le gain net étant calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition des titres remis à l’échange (éventuellement réduit de la soulte reçue, ou augmenté de la soulte versée).

Le Conseil d’Etat avait eu l’occasion de préciser les conditions permettant de qualifier une opération d’apport-cession de titres d’abus de droit au sens de l’article L 64 du LPF. Il ressort en substance de sa jurisprudence que l’abus de droit est constitué lorsque le contribuable contrôle la société bénéficiaire de l’apport, et que cette dernière n’a pas réinvesti dans un délai raisonnable une part substantielle du produit de la cession dans une activité économique.
Une certaine incertitude autour des critères définis par la jurisprudence fiscale avait conduit le législateur à définir ceux-ci par la lettre de cet article.

Désormais coexistent donc deux dispositifs :

  • Le dispositif de report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du CGI en cas d’apport à une société contrôlée par la personne physique qui apporte les titres;
  • Le dispositif de sursis automatique d’imposition prévu à l’article 150-0 B du CGI applicable à toutes les opérations autres que celles visées par l’article 150-0 B ter du CGI.

Ces deux dispositifs prévoient ainsi, l’un par un mécanisme de report et l’autre par un mécanisme de sursis, que la plus-value générée à l’occasion de l’apport de titres et de la remise en échange de ceux émis par la société bénéficiaire de l’apport sera imposée, non pas à l’occasion de l’apport, mais lors de la cession ultérieure des titres remis en échange ou par la cession par la société bénéficiaire des apports des titres apportés.

En outre, ces deux articles prévoient également que les échanges avec soulte restent soumis à l’imposition immédiate des plus-values générées lorsque cette soulte dépasse le seuil de 10% de la valeur nominale des titres reçus.

2. Avantages et conséquences du versement d’une soulte inférieure à 10% :

Lors d’une opération d’échange de titres, l’apporteur peut opter pour le versement en espèces d’une partie du prix des titres apportés. Les articles 150-0 B et 150-0 B ter du CGI disposent toutefois que cette somme ne sera pas immédiatement imposable qu’à la condition que celle-ci ne dépasse pas le seuil de 10% de la valeur des titres reçus.

a. Les raisons et l’intérêt d’une soulte :

Il n’existe pas de définition juridique précise de la soulte. Son fondement réside dans les dispositions du Code civil, notamment celles relatives au partage de la masse en matière de successions qui nous précisent que lorsqu’un partage ne peut donner lieu à répartition de lots de valeur égale, l’inégalité se compense par une soulte.

En cas d’échange de titres de sociétés, la soulte correspond en principe aux « rompus », c’est-à-dire au paiement en espèces de la fraction de la valeur des titres apportés ne pouvant donner lieu à la remise d’un nombre entier de titres en échange.

Toutefois, le code de commerce indique lui aussi qu’une soulte en espèces peut être versée à condition qu’elle ne dépasse pas le seuil de 10% précité.

Ce seuil dépasse la simple notion de rompu. Il a été prévu, en effet, afin que les parties à de ce type d’opération puissent faire face à des modifications dans l’équilibre de l’actionnariat de la société bénéficiaire de l’apport. Ainsi, le versement d’une soulte à la personne apportant les titres pourrait, par exemple, permettre à l’associé historique de la société bénéficiaire de l’apport de ne pas perdre le contrôle de celle-ci.

On s’aperçoit par ailleurs que ce seuil de 10% au sein des dispositions fiscales précitées a été introduit par le législateur uniquement pour des raisons d’alignement avec les dispositions du Code de commerce.

b. Un intérêt toutefois limité en matière de report d’imposition :

Il est important de souligner, s’il en était besoin, que le versement d’une soulte n’est pas définitivement exonéré d’impôt. Ainsi, à l’occasion de la cession des titres remis en échange, le cédant devra procéder au calcul de la plus-value générée en tenant compte de la soulte dont il aura précédemment bénéficié.

Aussi, alors que le sursis d’impôt prévu à l’article 150-0 B du CGI conduit à traiter l’opération d’échange de titres comme une période intercalaire et peut, en fonction de l’évolution du coût des titres remis en échange, conduire à moduler le coût fiscal de l’opération, il n’est pas de même concernant le régime de report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter.

En effet, ce dispositif conduit, quant à lui, à constater une plus-value dès l’opération d’échange de titres. Aussi, même si la valeur des titres remis en échange a fortement évolué au moment de leur cession, la plus-value d’échange n’en restera pas moins imposable pour le montant retenu au moment dudit échange.

Dès lors, le seul pari que l’apporteur pourrait faire résidera dans une éventuelle baisse du taux d’imposition des plus-values de cession de titres…

3. Les risques de qualification d’abus de droit

L’administration a toujours émis un regard suspicieux envers les opérations d’apport-cession et a souvent recherché à qualifier celles-ci d’abus de droit dans les situations où la société « apportée » et la société bénéficiaire de cet apport étaient contrôlées par la même personne. D’où une importante jurisprudence, assez protectrice, du Conseil d’Etat qui a conduit le législateur à instaurer les dispositions de l’article 150-0 B ter.

C’est dans ce contexte que l’administration fiscale vient de publier au Bofip ses commentaires. Etait donc très attendue son appréciation du seuil de 10%.
Il est donc peu étonnant de constater que l’administration retient une position plus restrictive de la notion même de soulte.

En effet, contrairement à sa propre doctrine applicable au régime de sursis d’imposition de l’article 150-0 B, l’administration ne distingue plus le montant correspondant aux rompus du seuil de 10% applicable pour la soulte. En d’autres termes, les rompus doivent, ici, être intégrés dans le calcul du seuil.

D’autre part, l’administration précise également qu’elle se réservera le droit, « dans le cadre de la procédure de l’abus de droit fiscal, prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF), notamment d’imposer la soulte reçue, s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt et d’échapper ainsi notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement. »

Nous avons toujours considéré que le risque de qualification d’abus de droit du versement d’une soulte correspondant exactement à 10% du montant des titres reçus était réel ; l’administration fiscale ayant, par ailleurs, déjà tenté d’opérer des redressements sur cette base, y compris dans le cadre du régime de sursis automatique d’imposition.

Nous obtenons désormais confirmation « officielle » de cette crainte.

Nous noterons par ailleurs que, par l’utilisation du terme « notamment » pour évoquer la possibilité d’imposer immédiatement la soulte, l’administration ne semble pas non plus écarter la possibilité de remettre en cause l’intégralité de l’opération et de procéder à l’imposition de l’ensemble de la plus-value, y compris celle en report d’imposition.

Les associés détenant seuls ou avec d’autres membres du même foyer fiscal l’intégralité du capital de la société bénéficiaire de l’apport devront ainsi être particulièrement vigilants en cas de versement d’une soulte. En effet, ce versement n’entraînant pas la dilution de l’apporteur dans la répartition du capital, la justification de l’intérêt économique de l’opération serait délicate à apporter à l’administration qui semblera désormais l’exiger…

Jeannick Moisy
Lintax Société d’Avocats

Michel Brocard
Brocard Avocats

 

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